CROSSWALK
Pat Andrea
2, avenue Matignon 75008
Nazanin Pouyandeh - Simon Pasieka - Pat Andrea
5, rue du Mail 75002
Simon Pasieka et Nazanin Pouyandeh sont d’anciens élèves de Pat Andrea, dont ils ont hérité un certain sens de la liberté : Pat n’imposait rien à ses élèves mais leur donnait les outils pour faire ce qu’ils voulaient faire. Ce mode de transmission douce et horizontale semble être la condition à un enseignement de l’art par l’art, où l’individualité artistique se révèle plus qu’elle ne s’apprend. Pat, Simon et Nazanin sont les membres de ce que l’on pourrait appeler une « famille artistique ». À la vision singulière de chacun s’appliquent les contacts des autres : appui, incitation, impression. Dans son De Rerum Natura, Lucrèce analyse la déclinaison des atomes, qui leur donne la capacité de dévier de leur trajectoire prévue et leur permet de se combiner pour former des objets plus complexes. La peinture au sein d’une « famille artistique » pourrait être comparée à cette déviation où l’influence directe ou indirecte des artistes s’ajoute comme une charge de regards à la pratique des autres, déviant toujours un peu plus de son point d’arrivée. Cette articulation de la liberté et de la volonté en peinture, d’un côté, et de la nécessité (ou non) de faire « école », de l’autre, a suscité beaucoup d’intérêt chez les historiens de l’art, particulièrement Aloïs Riegl avec le concept de « kunstwollen » qu’il développe en 1893. Selon ce principe, la force dynamique qui anime les artistes et les œuvres d’une époque donnée peut être considérée comme la manifestation d’une volonté singulière tout en restant conditionnée à des facteurs externes d’influence. L’équation posée s’applique par métonymie à la peinture. Elle relève, chez les trois artistes, d’une machine diégétique (fondée sur le récit) faite de conduits en détour ou en ligne droite, de passages plus ou moins étroits, de poids qui contrebalancent les substances éthérées. Limitée dans son médium et sa surface, la peinture projette notre esprit-corps au-delà de ces limites ; en plus de la vue, la peinture ne renonce pas à la musique, au théâtre, à la sculpture, la gravure et la danse. Elle en convoque les sens sur sa surface sensible. Aussi, au-delà du large éventail de sujets présents (jeu, guerre, sport, amour, religion), ces peintures parlent de peinture. Elles se prêtent à une réflexion sur leur histoire et leurs caractéristiques essentielles : la palette, le cadre, le croquis et la lumière intègrent la réalité du tableau dans des moyens proprement picturaux.
Apparemment, la juxtaposition de différentes plasticités sur la toile relève d’un certain maniérisme et il est toujours possible, chez Pat, Simon et Nazanin, de percevoir la technicité du medium. Mais l’artiste n’a jamais honte de faire œuvre manuelle. La véritable analogie esthétique qui existe entre les systèmes picturaux - réalistes, abstraits, figuratifs -, la seule, c’est qu’ils constituent tous une forme inventée. Pour autant, une forme plastique n’est pas le fruit du transfert plus ou moins mimétique d’une vision sur un support. C’est un ajustement conscient de quelque chose qui est intérieur : une peinture est nécessairement un ordre. « Ce qui s’oppose à la loi, selon Jean Baudrillard, n’est pas du tout l’absence de loi, c’est la règle ».1
Cette pensée, issue de son ouvrage sur la séduction, fait particulièrement sens pour la peinture de Pat, Simon et Nazanin. La séduction ne relève pas d’une énergie expressionniste mais du signe et du rituel : comme au théâtre, on adhère d’autant plus à la chose qu’on sait qu’elle prend place dans un espace fictif. Et le caractère jubilatoire de cette peinture provient en grande partie de cette relation consentie au jeu et au simulacre.
Elora Weill-Engerer
1 Jean Baudrillard, De la séduction, Paris : Galilée, 1979, p.180.
Catalogue de l'exposition
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