Dès les débuts des années 1980, Robert Combas s’est imposé comme l’initiateur incontestable de la Figuration Libre en dépoussiérant la peinture et en l’enrichissant de nouveaux chapitres qu’il ne cesse de développer. Combas désacralise l’art et revendique ce que le punk affirme dans sa musique : tout le monde peut être un artiste dans l’art de rue contre l’establishment. Chez lui tous les supports et tous les médias sont bons : dessin, gravure, peinture, sculpture, musique, cinéma, poésie, vidéo, photographie retravaillée... Son œuvre est colossale et comme le précise avec tendresse Catherine Millet : « L’avidité picturale de Combas ne peut se mesurer qu’à la rapacité jamais satisfaite d’Ubu. » Ce que Francis Ponge a écrit à propos de Jean Fautrier, on peut le dire de Robert Combas : « il est le peintre le plus révolutionnaire du monde depuis Picasso ». À l’image du maître de Malaga, Combas le surdoué fait preuve d’une puissance créatrice stupéfiante qu’il dégage pour rester en vie, pour demeurer sincère et produire sans cesse. Combas intègre les Beaux-Arts de Montpellier de 1975 à 1977 et édite avec son ami Hervé Di Rosa la revue BATO qui impose leurs collages, photomontages, dessins et textes influencés par la culture rock. A la même époque, il monte son groupe de musique pop « Les Démodés ». Accompagné du guitariste Lucas Mancione, il continue encore aujourd’hui à exprimer son talent d’auteur-compositeur-interprète avec sa formation « Les Sans Pattes ». En 1980, repéré par Bernard Ceysson, Directeur des Beaux Arts de Saint Etienne, il participe à l’exposition Après le classicisme au Musée d’Art et d’Industrie de la ville où il impose son style pictural. Dans une exubérance réjouissante, Combas mélange une iconographie issue des « graffiti du lycée », dessins potaches faits pour faire rire les copains à la création d’un style « avec les moyens du bord » proche de l’art brut. Il développe surtout son « Pop arabe », une imagerie du sud et des pays en voie de développement inspirée parfois par la créativité et de la sophistication des enseignes des coiffeurs africains. Avec une fantaisie jubilatoire il sature ses toiles de mots, certains avec un sens clairement exprimé, d’autres raturés et corrigés d’un large trait noir mais parfaitement lisibles, d’autres encore écrits avec une orthographe élémentaire. Il produit même « des fausses écritures » qui permettent des jeux calligraphiques savants proches de l’ornementalisme oriental. Il aspire à créer un langage sans frontières et précise : « Des petites têtes naissent de partout, des pieds, des sexes, des mots poussent et sursaturent le sens. Les sens se déchaînent. L’écriture rend la parole aux images dans l’espace symbolique et réel de l’imagination en train de se faire. » Toute sa production, fruit du plaisir du geste s’oppose à l’intellectualisme marqué par l’art conceptuel et le minimalisme des années 1970. Ses sources d’inspiration sont variées et surtout déhiérarchisées : livres d’école, bandes dessinées, publicités, mythologies antiques ou religieuses, images télévisuelles... Dans ses tableaux l’amoncellement d’éléments de provenances multiples et la répétition de situations exceptionnelles ne provoquent pas un sentiment de confusion ou d’impuissance. Ils incitent au contraire à trouver un agencement caché dans le désordre manifeste, dans les lacis de correspondances, dans les assemblages, dans les réseaux, dans la profusion enchevêtrée d’éléments et de personnages. Ces myriades d’entités qui s’encastrent comme les pièces d’un puzzle rapprochent son œuvre des miniatures moghols du XVIe siècle remplies d’un tohu-bohu de vie grouillante ou des grotesques d’Arcimboldo composés de plantes, d’animaux, d’objets amalgamés.
Par des couleurs vives et un trait noir qui délimite les figures représentées, son graphisme très caractéristique, immédiatement identifiable reste libre et spontané. Le dessin qui entoure systématiquement la couleur lui donne toute sa force. Essentielle et tapageuse, elle remplit tout l’espace de la toile ne laissant aucun espace vide. Durant les années 1990, Combas entame un cycle qu’il nomme « Période spirituelle au premier degré ». Après avoir redécouvert les vitraux des cathédrales, l’art des icônes, il prolonge son aventure esthétique avec des œuvres sur fond noir comme « La nuit obscure » où les couleurs semblent sortir du cosmos et dégouliner sur les figures. Ces recherches aboutissent à une importante exposition à San Francisco en 1989, à un travail sur Toulouse Lautrec exposé au musée d’Albi et la création en 1994 d’un tableau majeur de 2x5 mètres : L’autiste dans la forêt de fleurs qui fait songer aux champs de blé et aux Tournesols de Van Gogh. Comme souvent chez lui ce chef d’œuvre pictural se double d’un fabuleux poème : « Le Fou triste aime la vie mais il est autiste et n’arrive à converser qu’avec sa forêt de fleurs dont il est le roi. Ses sujets l’honorent et le décorent de leurs pétales de toutes les couleurs et leurs parfums illuminés tirent des boulets de canon d’odeur luxuriante. Le fou triste est au paradis mais il est autiste quand pourra t-il retrouver la vie qui s’en va à mesure ? Il sait qu’il est sur la bonne voie. Déjà la terre lunaire a disparu pour faire place à toutes les fleurs de la création mentale. Combien de temps encore va t-il attendre sans pouvoir parler, chanter ou rire ? Déjà, il a supprimé l’hiver et l’automne sur son calendrier cervical. » Cette période méditative, même si elle reste endiablée, est aussi marquée par la réalisation entre 2003 et 2005 d’un émouvant Chemin de croix avec son ami, le peintre Ladislas Kijno. Combas aime pousser à leur paroxysme ses inventions plastiques et renouvelle sans cesse les assises de son art. La série Sans Filet de 2010, avec la représentation d’hommes qui tombent, va évoluer pour donner corps à sa réinterprétation grandiose du Paradis Perdu de John Milton. Il y invente ce qu‘il appelle des « tableaux séquences » avec une succession de plusieurs dessins collés l’un à côté de l’autre où certains sont même réversibles comme des cartes à jouer. Avec son Labyrinthe de têtes, produit pendant le confinement entre 2020 et 2021, avec plus de cent visages, il fait renaître un sujet éternel de la peinture, l’art du portrait. Ses figures humaines ne se contentent pas de capter une banale ressemblance. Combas s’attache à exprimer l’inquiétude, l’interrogation, le déplacement, la présence dans l’absence, le sujet face à l’impossible, le rêve, la force du désir et de l’amour, les mystères de l’inconscient, la traversée du miroir... mais aussi son rapport à l’altérité, sa relation personnelle à sa propre image dans le regard de l’autre.
Comme l’affirme Jean-Luc Parant : « Les déplacements à l’intérieur des tableaux de Robert Combas (...) le chemin labyrinthique de ses contours, l’effervescence de son bestiaire, nous font prendre conscience que notre point commun à tous, c’est d’être vivants en même temps, au même moment. Tout n’existe qu’un temps, que maintenant, c’est maintenant qu’il faut vivre. » Personnage rimbaldien et baudelairien à la fois, Combas serait probablement prêt à ajouter non sans humour, comme sur la pancarte qui trône derrière lui dans une célèbre photo où on le voit la guitare à la main : « Vivre, oui, mais, ivre ! » Son vieux mentor Kijno l’y conviait avec ferveur en déclarant : « Il faut mettre Rimbaud dans nos verres et Gauguin dans nos assiettes ! » J’ajouterai qu’il faut mettre aussi Robert Combas devant nos yeux et dans nos cœurs.