Memento vivi
Les œuvres de Vincent Beaurin sont des témoins, tranquilles, telluriques, rayonnants.
Depuis ses recherches des années 1990 – d’abord comme designer et créateur d’objets puis, résolument, comme artiste plasticien –, il s’agit pour lui de créer des formes qui expriment son monde et le transmettent. Son monde – comme l’est notre monde à tous – n’est ni figuratif ni abstrait, ni décoratif ni spéculatif, ni futile ni utile : il est tout cela à la fois, chargé d’une puissance qui ne demande qu’à s’exprimer, irradier et imprégner notre rétine. Une imprégnation qui trouble nos perceptions des limites et des étant-donnés, permettant l’avènement d’un espace, plus fluide que les œuvres, où s’échangent leurs forces et celles qui les entourent, et d’un temps, plus vaste que leur observation, grâce à leurs potentiels optiques et aux « images d’après ». Évidemment, je pense ici aux Spots et aux Ocelles, spectres chromatiques aux variations infinies, et aux « tableaux » en nid d’abeille aluminium, mais également aux précieuses statuettes, aux sculptures hybrides, aux « momies debout » de la série « NUN », aux divinités excentriques et aux totems monumentaux que Vincent Beaurin érige hors des espaces traditionnels de l’art (Arch, Maldives, 2013 ; Fleur, 2014, pour le spectacle Al Hamra ; Tree of Life, Kuala Lumpur, 2015-2016 ; Quiero, Majorque, 2017). Toutes respirent quelque chose de l’ordre du sacré mais un sacré ouvert, panthéiste, magicien, où l’infiniment grand et l’infiniment petit ne font qu’un, où les muses sont les couleurs, les disciples psalmodient les théories des couleurs, les mystiques se nomment Michel-Eugène Chevreul, Johann Wolfgang von Goethe et Paul Cézanne.
Les œuvres de Vincent Beaurin sont des instruments de mesure, du proche et de l’inatteignable, de l’homme et du paysage, du trouble et de l’histoire de l’art.
Venu de l’artisanat par sa formation de ciseleur à l’École Boulle, reconnu comme designer pour sa collection Noli me tangere (1994) et ses collaborations avec la Galerie Néotù, Andrée Putman et Alessandro Mendini, Vincent Beaurin accorde une importance cruciale à la justesse des formes et à la complétude de leur réalisation, conférant à ses œuvres une certitude assurée, quelles qu’en soient leurs dimensions. Cette certitude, cette évidence, c’est celle procurée par un langage plastique pré-sémiotique : les couleurs ne sont ni signalétiques ni symboliques mais émotionnelles et atmosphériques ; les formes ne sont pas complexes mais élémentaires et organiques ; le sens n’est jamais transcendant mais immanent. Tout est là, donné à voir, manifeste, comme au petit matin d’un jour de canicule ou au lendemain mouillé d’un orage grandiose. Les paysages, les climats, le monde minéral, le cycle du soleil forment l’horizon d’un artiste de la contemplation qui réconcilie dans ses œuvres peinture et sculpture, surface et volume, textures et contours, présence à soi et réflexion sur l’espace. Car il ne s’agit pas seulement de créer, il faut également montrer, organiser l’articulation des œuvres entre elles au sein de dispositifs qui les révèlent, les mettent en relation et leur permettent d’englober le spectateur, de le dépasser pour mieux le piéger et l’intégrer (Yanomami, l’esprit de la forêt, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 2003 ; The Fun of The Past, Mudam, Luxembourg, 2006 ; Avant la panique, Crédac, Ivry-sur-Seine, 2006 ; Le Spectre, Atelier Cézanne, Aix-en-Provence, 2010 ; Couronne, 2013 ; État alchimique, Fondation Brownstone, Paris, 2017 ; Hand-made colour sculptures : some are paintings, some are statues, Musée national de Céramique, Sèvres, 2017, Show show, Galerie Julien Cadet, Paris, 2019). Il s’agit également de favoriser la remise en jeu des catégories « traditionnelles » de l’expérience esthétique : le socle, le cadre, la couleur, l’univocité, l’œuvre et son hors-champ, comme le démontre le corpus récent des « Organismes » (2019-2022) où chaque toile, présence apaisante à l’échelle de nos corps, ne se perçoit que dans un échange dynamique avec l’élément tridimensionnel qui l’accompagne, formant ainsi un organisme ouvert et vibrant.
Les œuvres de Vincent Beaurin sont des intermédiaires, légers, sentimentaux, résistants.
Jamais lisses, parfois abruptes, toujours physiques, elles sont comme ces osselets, silex et cailloux qui, parfois, surgissent à leurs surfaces et que nous aimons manipuler au creux de nos mains. Memento vivi. Elles nous demandent d’être là et de nous situer, de s’abstraire de notre monde liquide pour établir une zone de contact à investir physiquement et sensuellement, en état d’introspection et d’écoute. Elles offrent pour cela une harmonie poudrée, un calme intense, une sérénité vigoureuse, celle bien sûr de l’alchimiste mais surtout celle d’un artiste aspiré par une quête radicale : celle de la mise à nu des phénomènes optiques et picturaux, des correspondances et des synesthésies, d’un état sincère du monde et de l’art.
Les œuvres de Vincent Beaurin font partie des collections du MNAM - Musée national d'art moderne - Centre Georges Pompidou ; du FNAC - Fonds national d'art contemporain ; du MUDAM, Musée d'art moderne, Grand-Duc Jean, Luxembourg ; de LVMH, Cheval Blanc Randheli et Christian Dior Couture ; de la Fondation Cartier pour l'art contemporain; d’Agnès B, du MAD - Musée des Arts Décoratifs, de la collection du Mobilier National.